Le présent blog de l’équipe Minodu, rédigé par Carina Lange, Jules Alali et Morgan Frances Clark, donne un aperçu de l’élaboration du glossaire vivant pour un climat en mutation. En outre, un cours en ligne a été créé afin d’encourager d’autres personnes à prendre des mesures pour co-construire des méthodes linguistiques permettant de relever les défis climatiques.
Et si les connaissances sur le changement climatique pouvaient circuler plus librement, des universités aux champs ? Et si les langues locales n’étaient pas un obstacle, mais un levier ? C’est le défi relevé par le glossaire de la terminologie climatique français-kabiyè. Cet outil linguistique est conçu pour renforcer la gestion durable des terres dans les communautés rurales du nord du Togo dans le cadre du projet Minodu.
Dans chaque domaine spécialisé, un vocabulaire technique émerge : souvent complexe, parfois opaque. La climatologie ne fait pas exception. Si ce vocabulaire est essentiel pour les chercheurs, il devient un obstacle lorsqu’il s’agit de communiquer avec les communautés locales d’Afrique subsaharienne, qui sont pourtant en première ligne face au changement climatique.
Imaginez : vous êtes étudiant(e) en agriculture à l’université. Au cours de vos études, vous avez appris l’importance du changement climatique, les effets graves qu’il aura sur l’agriculture régionale. Vous avez également entendu parler de solutions potentielles, susceptibles d’améliorer considérablement la capacité des producteurs et productrices ruraux à mettre en œuvre des interventions agricoles. Ces connaissances pourraient avoir un impact direct sur votre communauté d’origine ; vous souhaitez donc les partager avec elle. Mais vous vous rendez compte que vous ne trouvez pas les mots dans votre langue maternelle pour expliquer vos connaissances au reste de votre communauté ! Vous maîtrisez parfaitement tous les termes dans votre langue d’enseignement, mais vous avez du mal à trouver les mots dans votre langue maternelle… y existe-t-il même un mot pour désigner le changement climatique ?
Les situations comme celle décrite ci-dessus sont plus courantes qu’on ne le pense, et ce sont elles qui nous ont principalement motivés à élaborer un glossaire technique. Un glossaire technique est plus qu’un dictionnaire : il traduit des concepts scientifiques dans une langue ciblée, adaptée au contexte local, et précise les usages, les nuances et les équivalents. En bref, il fait le pont entre deux mondes : celui des connaissances académiques et celui des connaissances ancrées dans le terroir.
Ce glossaire a été créé dans le cadre du projet Minodu, qui promeut la communication scientifique participative sur le climat et l’agriculture durable. Le kabiyè, l’une des langues les plus parlées au Togo, s’est imposé comme un choix évident : largement répandu dans la région de Kara, c’est la langue quotidienne de nombreuses productrices et producteurs agricoles.
Mais traduire des termes tels que « résilience climatique » ou « aléa climatique » n’est pas simple. Cela nécessite plus qu’une simple traduction littérale. Cela implique un travail approfondi avec des locutrices et locuteurs natifs, l’écoute des représentations locales du climat et une attention particulière aux formes orales et culturelles de transmission des connaissances. Cela commence par le constat qu’il n’existe pas de mot unique, ni un mot seul en kabiyè pour désigner le « climat ». Il se poursuit par la reconnaissance du vaste réservoir de connaissances climatologiques « enracinées dans la terre » et les personnes qui la cultivent, qui est endogène, incarnée, mais non écrite, et difficile à percevoir pour la communauté scientifique. Ce savoir ne peut être utilisé qu’avec une approche très respectueuse, qui commence par établir une base commune de communication.
Le glossaire a été co-construit en plusieurs étapes :
Le résultat ? Un glossaire bilingue français-kabiyè structuré autour de quatre sections pour chaque terme :
Mais ce glossaire ne se limite pas à l’écrit. Il comprend des fichiers audio contenant la prononciation des termes en français et en kabiyè, afin de faciliter la transmission orale, essentielle dans les régions où l’écriture demeure secondaire. Une version numérique est disponible sur la plateforme collaborative du projet Minodu. Cette version inclut une transcription simplifiée de la prononciation pour ceux qui ne peuvent pas écouter les fichiers audios et ne savent pas lire le kabiyè. Cette transcription est également disponible sous forme imprimée dans une cabine d’enregistrement à l’université de Kara où les étudiants font des enregistrements audios en langue kabiyè dans le cadre du projet Minodu. Plus important encore, les différents formats d’écriture, d’écoute et de contexte permettent à tout le monde d’accéder au glossaire.
Ce glossaire est bien plus qu’un simple lexique. Il s’inscrit dans une stratégie plus large : permettre aux étudiantes et étudiants de l’université de Kara de mieux communiquer leurs recherches, faciliter la collecte de données dans la langue locale et rendre les résultats accessibles aux communautés. Dans cette optique, une « bibliothèque audio » est en cours de création dans le cadre du projet, avec des résultats scientifiques transformés en fichiers audio simples et compréhensibles en langue kabiyè.
Cette approche est un élément essentiel pour la création de systèmes communautaires de surveillance du climat, dans lesquels les habitants peuvent s’approprier les informations météorologiques, coproduire des connaissances pertinentes et mieux anticiper les effets du changement climatique sur leurs cultures.
Grâce à ce travail linguistique minutieux, le projet Minodu démontre que la gestion durable des terres ne peut être réalisée sans une prise en compte sérieuse des langues locales et des connaissances vernaculaires. Traduire, dans ce cas, signifie reconnaître, relier et co-construire un langage commun pour faire face ensemble aux défis climatiques.
Ce processus est en cours, et le sera troujours : le glossaire en est encore à ses débuts. Il est conçu pour être un outil évolutif, enrichi par les retours d’expérience sur le terrain, par son utilisation et par les critiques. C’est un espace où le kabiyè et la climatologie continuent de dialoguer pour obtenir de meilleurs résultats sur le terrain.
Morgan Clarke, étudiante en linguistique et membre de l’équipe Minodu, a créé un cours en ligne pour encourager d’autres personnes à s’engager dans la co-construction de méthodes linguistiques visant à relever les défis climatiques.
Il est accessible sur une plateforme de l’université de Kara, et sur la plateforme e-learning d’Interfaces ici : https://share.articulate.com/JVjWO65tUHShFLmKMyp-8 (mot de passe: minodu).